De l’égalité des chances à l’égalité des parcours ?
Dans notre pays, 130 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme et l’objectif de 80% d’une classe d’âge au bac, non seulement, n’est pas atteint mais stagne, depuis quinze ans, avec 65% de bacheliers, dont 35% décrochent un bac général.
On constate un malaise général, voire un mal-être à l’école pour de nombreux élèves.
Gilles Képel, professeur à Sciences-Po Paris, vient de publier un livre consacré aux banlieues ( Banlieue de la République : société, politique et religion, Gallimard, 2012) et l’enquête menée à cette occasion a suscité une réponse qui l’a étonné. Quand on demande aux jeunes de banlieues l’institution qu’ils détestent le plus, on s’attend à ce qu’ils répondent la police, or c’est l’école qui arrive en premier. En effet, ces jeunes ont souvent un frère, une sœur qui ont fait des études sont diplômés mais au chomage ou touchent le Smic et enchaînent les CDD sans parvenir à décrocher un contrat de travail à durée indéterminée et dont la rémunération soit en rapport avec leur niveau d’études supérieures. Donc pour ces jeunes, l’école ne sert à rien.
Le discours prôné ces dernières années sur l’égalité des chances est remis en cause, l’école,le collège et le lycée ne permettent pas à tous les jeunes d’acquérir une formation ou un diplôme.
On constate le maintien d’inégalités chez les jeunes de 16 ans, inégalités liées à leur milieu social d’origine. Ce constat est particulièrement frappant en Picardie où les jeunes de catégories défavorisées représentent 48% des collégiens en 6e mais seulement 24% des titulaires du bac général.
Jean-Paul Delevoye (ancien Médiateur de la République, président du Conseil Economique Social et Environnemental) ne croit pas au discours qui prône l’égalité des chances et lui préfère celui de l’égalité des parcours, c’est-à-dire, que chaque jeune doit trouver le sien qui doit être valorisé, même s’il ne passe pas par un baccalauréat général.
Son analyse mérite réflexion et suppose que l’on accepte l’idée que les études supérieures ne sont pas le sésame à l’emploi pour tous, ce qui va à l’encontre de 40 ans de pensée dominante en France.
Il est urgent de valoriser l’apprentissage, solution pour former des jeunes qui s’ennuient à l’école et éviter la hausse de l’échec scolaire. Il faut révolutionner nos façons de penser, revaloriser les filières techniques qui permettent de réels débouchés professionnels avec des salaires souvent supérieurs à ceux proposés aux jeunes diplômés de l’enseignement supérieur.
Mieux vaut un jeune apprenti épanoui et touchant un salaire qu’un jeune diplômé au chômage.
Nathalie Sanson
Dire que le diplôme n’est plus un sésame pour décrocher un emploi n’est pas une révolution, on le sait depuis vingt ans. Dire qu’il faut revaloriser l’apprentissage l’est encore moins ; on entend ce discours depuis que les conseillers d’orientation existent ; et, alors que chaque parcours est personnel, leurs paroles dogmatiques consistaient déjà à dire aux élèves : « Mieux vaut… ».
En France, depuis les années 90, la « pensée dominante » penche beaucoup plus vers des filières qualifiantes plus « techniques et professionnelles », avec une dévalorisation évidente du diplôme d’études générales. Le tors est donc toujours de créer des « tendances » aléatoires, sans jamais se poser la question de la « cohérence de tout un système » d’intégration sociale.
Et pendant que l’on valorisait (à très juste titre !) l’apprentissage et les filières professionnelles, on s’est empressé d’oublier l’université et la nécessité de la réformer. On commence à peine à moderniser nos universités avec des formations et des Master professionnels, en multipliant les passerelles avec le monde du travail et de l’entreprise !
Aujourd’hui, la subversion viendrait donc plutôt de ceux qui disent que l’école ne peut endosser « toutes » les responsabilités liées à l’intégration des individus ; et qu’il faut aussi revaloriser sa fonction première d’ «épanouissement et d’ intégration par le savoir », que l’école n’est pas une machine à conditionner et à orienter en fonction de la fluctuation du marché ; mais que c’est un projet de « civilisation » qui tend à « instruire », « éduquer » et « émanciper » les individus pour en faire des « citoyens éclairés ».
Vouloir donner à chacun un niveau d’éducation correct pour tous n’est donc pas ce que l’éducation nationale a fait de pire ; même si abaisser le niveau d’obtention du BAC général n’est pas ce qu’elle a fait de mieux non plus.
Le revers de cette médaille (car « l’éducation pour tous » est un progrès !) c’est bien sûr d’avoir générer une « utopie », celle de l’ « égalité des chances » que certains ont pris pour une « égalité de réussite sociale » !
Mais, n’oublions pas que cette confusion a été entretenue de toute part, notamment par l’idée vertueuse de « méritocratie républicaine » liée à l’effort : l’idée que chaque individu, quelque soit son milieu d’origine, peut réussir par le biais de l’école.
Ainsi, lorsque Gilles Kepel nous parle de ces jeunes de banlieues qui détesteraient l’école, ne nous y trompons pas : ce n’est pas l’école qu’ils détestent, c’est le mensonge qu’on leur a fait miroiter à travers l’école ! Leur enfance a été bercée par cette phrase : « Malgré ta situation, ta seule chance c’est l’école, si tu travaille dur, tes efforts seront récompensés et tu pourras réussir ta vie ! ».
La déception est toujours à la hauteur de l’attente et le sens même de l’école républicaine a pris une ampleur énorme dans la vie de ces jeunes gens et de leur famille. Cet amour incommensurable pour l’école comme seule bouée de sauvetage a été trahie … Ainsi, Gilles Kepel dans son ouvrage, ou encore Jean Paul Delevoye, dénonce un « leurre », mais ils ne font en aucun cas le procès de l’école et n’en tire aucun jugement de valeur.
Par conséquent, amalgamer éducation, échec scolaire, milieu social, orientation, marché de l’emploi, et dévalorisation du diplôme comme étant les conséquences d’une seule volonté aveugle de faire accéder les classes populaires à des études supérieures est somme toute très réducteur!
Car cela équivaut à répondre à ces jeunes que : « oui, pour une certaine catégorie de population, l’école ne sert à rien ! » Et qu’il ne vaut effectivement mieux pas faire d’étude et « être un apprenti épanoui, plutôt qu’un diplômé au chômage » ! Ce raccourci est fâcheux, et très peu nuancé … « Il vaut mieux être riche et en bonne santé, que pauvre et malade », et après ! L’école y est-elle encore pour quelque chose ?
On ne peut pas vouloir conditionner le parcours des individus et leurs aspirations « par défaut » ou « par dépit » ! Sur une question si cruciale, il faut, certes, trouver des solutions « concrètes », mais on ne peut pas se contenter de répondre à notre jeunesse qu’ « entre la peste et le choléra », il faudra bien choisir !
Cher Monsieur,
> votre commentaire montre l’intérêt que vous portez au blog d’Olivier Jardé et nous vous en remercions.
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> Je crains de ne pas avoir été assez claire dans mon analyse, en effet vous relevez dans mon propos un raccourci que vous qualifiez de « fâcheux ».
> Je vous laisse bien sur libre de le penser mais sachez en tout cas que nous partageons sur plusieurs points les mêmes idées notamment concernant ce que vous appelez « l’utopie de l’égalité des chances ». Vous précisez que certains jeunes de banlieue ont le sentiment d’un « mensonge », « d’avoir été trahis ». Je partage votre avis et regrette l’absence de débat de fond ,pendant la campagne présidentielle, sur ces questions relatives à la réforme du système scolaire et l’avenir professionnel de nos jeunes.
> Ces questions ont été évoquées mais fort peu débattues. il faudrait à l’avenir privilégier l’égalité des parcours , l’égalité des chances ayant révélé ses limites. »
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> N.SANSON